L'histoire de Java commence il y a très longtemps puisque c'est sur les bords de la rivière Trinil, juste au nord de Solo à Java centre, qu'ont été découverts en 1892 quelques ossements, que l'on a datés de plus d'un million d'années, par un jeune médecin hollandais passionné par les nouvelles théories sur l'évolution des espèces de Charles Darwin, Eugène Dubois.
C'est
l'homme de Java, le fameux Pithécanthrope. De nombreux autres
ossements, datés de plusieurs centaines de milliers d'années,
ont été découverts par la suite dans la même région,
notamment à Sangiran.
L'histoire plus récente, celle qui nous intéresse aujourd'hui, nous ramène quelques siècles avant notre ère, avec ce que nous pourrions appeler la culture des tambours de bronze. De quoi s'agit - t - il ?
Vers le Ve s avant notre ère, dans la région de Dong Song, au nord du Vietnam actuel, ont été produits par des populations montagnardes, initiées à l'art et à la technique du bronze par les chinois voisins et experts, des tambours en bronze, faiseurs de pluie. Ce sont des objets d'environ 50 cm de diamètre et autant de hauteur. Sur le centre du plateau de ces tambours, est souvent représenté le soleil sous la forme d'une étoile aux nombres de branches variables suivant les tambours. Le reste du plateau est ciselé avec des motifs toujours liés à l'eau : symbole de l'eau, de la lune, des dragons stylisés, et même des bateaux ou des grenouilles, quelquefois présentés sous formes des petites sculptures soudées sur le plateau. Pour ces riziculteurs dont l'existence dépendait des pluies, ces tambours, qui étaient posés à plat, modèles géants des tambours utilisés par les chamans, seuls aptes à s'adresser aux dieux, lorsqu'ils étaient frappés, émettaient un son qui imitait le coassement de la grenouille dont on dit qu'il fait venir la pluie.
Ces populations, rejetées et repoussées par l'avancée des Han chinois, se déplaceront toujours plus au sud et jusqu'en Indonésie où l'on a trouvé de nombreux tambours identiques au modèle vietnamien. Cependant, personne ne peut encore dire avec certitude si les tambours trouvés en Indonésie ont été apportés du Vietnam par les immigrés ou bien s'ils ont été fabriqués localement car on a aussi retrouvé quelques moules permettant de faire des tambours en bronze selon le procédé dit de la cire perdue.
Le plus grand de tous ces tambours de bronze connus dans le monde se trouve à Bali. C'est un tambour, d'un modèle typiquement indonésien, dont la forme rappelle un peu celle d'un sablier. Il mesure 1m 86 de haut pour 1m 62 de large. On l'appelle la "lune de Pejeng" à cause d'une légende locale qui dit qu'un jour le char de la lune aurait perdu une roue dont ce superbe tambour de bronze serait finalement l'émanation. On peut difficilement voir cet objet, car il est perché à quatre mètres de haut, dans un des bâtiments du temple Pura Panataran Sasih à Pejeng. Le tablier de ce tambour (ci-dessous) est particulièrement beau.
Dès le début de notre ère, les relations commerciales entre la Chine, le Sud-est asiatique et l'Inde étaient courantes. Elles se faisaient surtout grâce aux navigateurs malais qui étaient les seuls à connaître les mouvements saisonniers des alizés, ce qui leur permettaient d'aller jusqu'à Madagascar en traversant les mers, alors que les bateaux indiens ne faisaient que du cabotage.
A partir du IIe siècle, la traditionnelle voie d'échange, la Route de la Soie, a été coupée pour raisons de conflits, si bien que la route maritime du sud va devenir le passage obligatoire.
Au Ve s, la Chine confiera la sécurité du commerce de ses marchandises aux navires du royaume Srivijaya de Sumatra qui contrôle tous les passages et les ports du Détroit de Malacca grâce aux pirates qui infestent ces mers et arraisonnent tous les autres bateaux pour le compte de Srivijaya. Le contrôle de la mer de Chine par le royaume de Srivijaya durera pratiquement jusqu'à sa disparition au XIIIe siècle. Durant toute cette période, on ne verra pratiquement pas de bateaux chinois se hasarder à assurer une ligne maritime.
Les moines et les prêtres de l'Inde ont profité de ce développement commercial pour emprunter ces navires, et venir à la rencontre des petits royaumes naissants de l'Insulinde, peut-être à la demande même de certains de leurs chefs, qui auraient compris le prestige personnel qu'ils pouvaient tirer en ayant des "sages" étrangers à leurs cotés.
C'est au Ve s après J.C. que les premières traces de la civilisation hindo-bouddhique apparaissent en Indonésie, sous deux formes complètement différentes :
Il
ne faut pas oublier que durant plus de mille ans, du Ve
au XVIe s, des royaumes indianisés ont
existé à l'ouest de Java. On en parle peu car, malheureusement,
ils ont laissé peu de traces archéologiques du fait que la
plupart de leurs temples étaient en bois. Le seul candi
digne de ce nom est le Candi Cangkuang près
de Garut. Cependant, des fouilles menées
ces dernières années ont permis la mise à jour de plusieurs
sites dans les environs de Karawang, 50 km à l'est de Jakarta,
ainsi que dans la région de Ciamis.
Le dernier royaume hindu de Java ouest, le royaume de Pajajaran, fut anéanti
en 1587 par les armée des princes de Banten, qui s'étaient emparés de Sunda
Kelapa ( Jakarta) 60 ans plus tôt.
Les
royaumes de Java ouest (Sunda) n'ont pu atteindre une grande
ampleur car les rajas n'ont pu établir de liens profonds avec
les populations voisines. En effet, il n'y avait pas de sawah
(rizière irriguée), dont l'organisation du système
d'irrigation liait le paysan au kraton (la
demeure du chef).
L'organisation des kratons agraires :
La communauté la plus petite dans l'ancienne Java était la wanua, un système traditionnel et communautaire autonome conduit par le groupe des "aînés", présidé par le père : rama ou tuha.
L'étape suivante fut la réunion, pour des raisons économiques de plusieurs wanuas. Cet ensemble était dirigé par un raka, "le frère aîné", certainement issu des ramas, qui préside la juridiction, watak, de plusieurs régions. Cette institution, sans doute pré-hindou, a peut-être été créée pour l'organisation de la distribution de l'eau dans les sawahs de plusieurs wanuas, à partir d'un même point d'eau.
De la centralisation progressive des organisations assurant, la distribution des services et des biens, et l'administration politique et juridique, émergea le kraton, groupement de fonctionnaires consommateurs, par rapport aux wanuas producteurs de biens.
L'arrivée des Brahmanes de l'Inde permit à certains rakas d'être élevés au titre de Maharaja, et sanctifiés, entraînant la lignée royale.
L'inscription de 778 trouvée à Kalasan nous dit : "les prêtres bouddhistes élèvent le temple pour le roi Sailendra avec l'accord (financier) du Maharaja Rakarayan Panangkaran". Ce dernier fut, semble-t-il, le premier à porter le titre de Sri Maharaja. Donc, le roi Sailendra, qui semble être d'une dynastie originaire du Funan (d'après G. Coedes), n'a pas de terre ni de revenu. C'est le maharaja qui dispose des revenus. C'est lui qui va financer la construction du temple, c'est lui qui offrira le terrain nécessaire à l'édification du sanctuaire, c'est lui qui libérera des rizières afin que les moines, avec les paysans et les esclaves, puissent les travailler pour subvenir à l'existence de la communauté religieuse.
Finalement, il y a eu, à la suite des guerres, une centralisation de tous les kratons à partir du roi Balitung, Raka de Batukura, en 907.
Des temples en bois au Ve s, il y en avait également beaucoup à Java central, mais là aussi, plus de traces, si bien que les premiers temples de la région autour de Yogyakarta, sont ceux du plateau de Dieng à 100 km à l'ouest. Ils sont au nombre de huit, petits, en pierre, et datent du début du VIIIe s. Certains d'entre eux, le Candi Arjuna en particulier, font inévitablement penser aux temples Pallawa de Mahaballipuram. Tous ces temples destinés aux cultes hindouistes de la Trimurti, Brahma, Vishnu, Shiva, auraient été construits par le rakarayan Sri Sanjaya. Sanjaya prétendait être le fils et le représentant des anciens chefs de Yavadvipa (Java dans les textes de l'Inde), et le maître du "champ sacré de Shiva", le complexe des temples du plateau de Dieng. L'inscription de 732 indique que Sanjaya érigea sur le plateau de Dieng un menhir, qui était pour lui le symbole de la montagne, en hommage aux dieux de la Trimurti.
Non loin de là, sur les pentes du mont Ungaran, se trouve le groupe de neuf temples de Gedong Songo (les neuf bâtisses), qui datent à peu près de la même époque.
Quelques décennies plus tard, à partir de 778, les Sailendra (Seigneurs de la montagne), couvriront la région de Yogyakarta de monuments dédiés, dans un premier temps au Bouddha, puis à partir de 780 au culte bouddhique des cinq Jina.
Parmi toutes ces constructions, on relèvera évidemment le projet gigantesque et, disons-le, un peu fou, du Borobudur, dont la construction se fera par étapes, et sera achevée quelque 60 ans plus tard, vers 840, par les Sanjaya devenus roi de la région grace au mariage du maharaja Sanjaya Pitakan avec la fille du roi Sailendra.
Faisant preuve d'une grande tolérance religieuse, les nouveaux maîtres, termineront les monuments bouddhistes commencés par les Sailendra (qui eux vont prendre le contrôle du royaume sumatranais de Srivijaya). Les Sanjaya du premier royaume Mataram, construiront également de grands temples dédiés à la Trimurti hindou, et en particulier le grand complexe de Prambanan. Marié à une princesse Sailendra, nommée Pramoddhawarddhani, (la fille du roi Sailendra Samaratunga et sur du futur roi de Srivijaya, Balaputra), le roi Rakai Pikatan fera même construire des temples bouddhistes comme les Candi Sari et Plaosan.
A partir du milieu du IXe s, pour des raisons encore inexpliquées - gros problèmes d'irrigation, catastrophe naturelle sous la forme d'une éruption gigantesque du volcan Merapi - , les royaumes vont, semble-t-il, se déplacer vers le nord-est de Java mais, faute d'inscriptions et de monuments, on va un peu perdre leurs traces.
Cependant, en 929, surgira le royaume Isana sous l'impulsion de Mpu Sindok dont une des épouses était la fille du dernier roi Sanjaya de Mataram. C'est de cette lignée qu'émergera cent ans plus tard Airlangga, fils de l'arrière petite fille de Mpu Sindok, Mahendratta, et d'un père qui était le prince balinais Udayana.
Airlangga, mort en 1049, finira par contrôler une grande partie de Java est qu'il partagera pour sa succession en deux royaumes entre ses deux fils, le royaume de Jangala et celui de Kadiri. Le premier sera rapidement absorbé par le second, et le royaume de Kadiri se développera jusqu'à étendre sa domination sur les îles extérieures à Java. De grands monuments seront construits, mais la dynastie va s'éteindre lors de l'assassina, en 1222, du dernier roi de Kadiri, Kritajaya, par Ken Angrok, un usurpateur qui avait, la même année, assassiné le régent de Tumapel (autre nom de Janggala) puis épousé sa femme Ken Dedes.
Ken Angrok fondera la dynastie Singhosari qui s'imposera jusqu'en 1292, date de l'assassina du dernier roi, Kartanegara, et de la destruction de la ville par le roi de Mojopahit, Wijaya, aidé par l'armée chinoise envoyée par Koubilaï Khan en représailles à l'affront que lui avait fait Kartanegara, qui n'ont seulement refusait de payer tribut à la Chine, mais en plus avait renvoyé les émissaires de Koubilaï en Chine après les avoir affreusement mutilés.
Les Mojopahit, installés à Trowulan, au sud de Surabaya, après avoir retourné leurs armes contre les chinois et les avoir rejeté à la mer, imposèrent leur dynastie et leur puissance jusqu'en 1500, en particulier sous le règne du roi Hayam Wuruk et de son Premier ministre, Gadja Mada. C'est une des dynasties les plus prestigieuses de l'histoire de Java - ils contrôlaient la mer de Chine jusqu'à Taiwan - à tel point que les sultans actuels de Yogyakarta et de Solo prétendent être leurs descendants.
Mais, la conversion d'une partie de la population, puis de certains princes Mojopahit à l'islam, va sonner le glas de l'épopée indo-javanaise de l'Indonésie. Des sanctuaires seront néanmoins encore construits dans les montagnes de Java jusqu'au milieu du XVIe s, après quoi, l'hindouisme se concentrera sur l'île voisine de Bali déjà contrôlée par les Mojopahit.
Quelques populations javanaises maintiennent encore, notamment autour du mont Bromo, des cultes et des rituels liés aux anciennes traditions indo-javanaises.