Si vous décidez un jour d'aller visiter Borobudur un dimanche, vous constaterez, à vos dépends, que c'est "noir de monde".
Si les Javanais (considérés comme étant majoritairement musulmans) aiment tant ce monument, c'est parce que c'est celui qui correspond le mieux à l'idée qu'ils se font du monde des dieux et des ancêtres. La montagne, des terrasses en gradins, un sanctuaire pyramidal. Notons d'ailleurs qu'un tel sanctuaire existait justement là où a été construit le Borobudur.
Ceci est parfaitement clair lorsque l'on suit l'évolution des sanctuaires javanais sur 2000 ans.
Les premiers, datant probablement du début de notre ère, voire avant, étaient des terrasses mégalithiques édifiées sur les flans des montagnes et même au sommet. On en trouve encore des exemples, mais ils sont beaucoup plus récents, dans le pays Sunda chez les Baduis, ainsi qu'au sommet du Yang, à Java est. Entre 10 et 15 terrasses se suivent toujours plus haut. Pas de grands monuments, mais des petits autels, des menhirs représentant l'âme du chef, et des petites statues anthropomorphes en pierre. On retrouve exactement la même chose chez les Toraja de Sulawesi avec leurs célèbres Tau Tau aux balcons.
Quand les grandes religions indiennes vont débarquer, c'est elles qui feront la mode : nouveaux dieux, nouveaux temples, nouveaux rituels. Ces nouveaux temples seront d'abord construits sur les montagnes, comme les anciens - pas de changements trop brusques tout de même!- c'est le cas des temples de Dieng ou de Gedong Songo, puis de plus en plus bas, et enfin dans la plaine autour de la capitale royale. Ce sera le cas pour les royaumes de Java central puis de Java est jusqu'au XIVe siècle. A ce moment là, changement de décors car le souffle frais des nouvelles conceptions hindouistes du divin ne parvient plus à Java : l'Inde s'est tu sous le bras armé de l'islam. Le fond naturel des croyances javanaises revient alors au galop. Les nouveaux temples sont construits avec des terrasses qui se superposent non plus en hauteur mais dans le sens de la profondeur comme au Candi Panataran. 100 ans plus tard, islamisation massive des plaines aidant, on re-hisse les temples sur les flans des montagnes, comme le Candi Sukuh ; on re-déroule les terrasses en gradins, puis au fur et à mesure que le temps va passer, la structure du temple diminuera en dimension jusqu'à n'être plus qu'un autel, de forme pyramidale bien sûr. Adieu Trimurti ! adieu Bouddha ! Vive le ciel, l'éclair, le tonnerre, et la foudre régénérante !
Pourquoi les temples de Java sont appelés CANDI (prononcer TCHANDI) ?
En effet, le mot Candi n'est pas d'origine javanaise, mais un mot sanscrit, donc venant d'Inde. Or, en Inde, les temples ne sont pas appelés Candi ; ils sont désignés par des mots tels que DEVALAYA (demeure des dieux), PRASADA (palais) ou encore VIMANA (construction à étages, utilisé pour les grands sanctuaires de l'Inde du Sud). Et à Bali, l'île voisine de Java et encore hindouiste, ils sont appelés PURA (mot sanscrit signifiant comme PURI, ville ou capitale).
Force est de constater que les spécialistes écrivains ne sont pas prolixes sur le sujet. En fait ils ne répondent pas à la question ou bien en un mot, au choix : Candi signifie ancien trône, ou bien Candi est un autre nom pour désigner Durga. Et c'est tout
Voilà mon explication :
Candi est le nom de la Déesse Mère (V. Célébration de la grande déesse - Devi-Mahatmya ou Chandi, trad. de J. Varenne), celle qui est naît de l'énergie cosmique des dieux pour sauver le monde menacé de destruction par les démons après que ces derniers avaient vaincu les dieux.
Candi, armée de l'arme suprême de chacun des dieux (le trident de Shiva, le disque de Krishna etc.), et chevauchant le lion que lui a donné le dieu de la montagne Himavan (qui donnera en français Himalaya), va combattre les armées des démons (ils sont innombrables), conduit par un buffle (qui n'a pas de nom car seul les hommes en ont). Après avoir tué tous les démons, dans un dernier combat gigantesque, elle tuera le démon buffle qu'elle transpercera de son trident. C'est l'image bien connue.
Comme en Inde rien ne finit jamais, la déesse va devoir rejouer son rôle plusieurs fois. Elle changera de nom à chaque représentation, et s'appellera Chandika ou Ambika ou encore Durga.
C'est sous ce dernier nom quelle est la plus connu par la représentation très courante en Inde et à Java dite : Durga Mahishasuramardini, ce qui signifie: Durga , celle qui a tué le démon buffle. Durga est représentée avec six, huit ou douze bras (en réalité, elle a autant de bras que d'armes et donc que de dieux, et comme ils sont des millions en Inde ), elle chevauche le lion et transperce le buffle. Les représentations peuvent être assez variables. Souvent, on la voit debout seule sur le dos du buffle. Quelquefois apparaît sur la représentation un petit bonhomme. C'est l'âme du démon buffle personnalisée qui sort à moitié de la gueule de l'animal mourant et que Durga tire par les cheveux avant de lui trancher la tête de son sabre.
Cette image était présente sur la plupart des temples hindouistes de Java centre (ceux consacrés à Shiva), et sur de nombreux temples de Java est.
Mais revenons à l'explication :
On peut donc penser que les populations agricoles de Java vénéraient la Déesse Mère et déesse de la fertilité (comme toutes les populations agricoles du monde), car elle seule est à la fois capable de faire pousser les plantes et d'aider et de sauver les paysans faces à tous les dangers mortels qui les guettent. Le texte sité plus haut dit : "On t'appelle Durga parce que tu est un navire sans attache, grâce auquel on traverse l'océan des difficultés".
A Java, il y a plus de 1000 ans, cette divinité devait être appelée Candi et non Durga comme aujourd'hui. Elle était vénérée par les paysans qui apportaient des offrandes à son image sur le temple, alors que le souverain vénérait le lingam enfermé dans la cella. Elle avait sa fête, et finalement, avec le temps, et alors que les souverains avaient changé et peut-être déserté la cella, le nom de la déesse, CANDI, a finit par devenir le nom générique pour désigner le temple lui-même que les paysans continuaient à fréquenter. Plus tard et encore maintenant, Candi désigne tous les temples anciens, même bouddhistes.
On
a actuellement l'exemple bien connu du temple de Prambanan que la
population n'appelle ni Candi Prambanan, ni
Candi Shiva, mais Lara Jonggrang. C'est le nom qu'ils ont donné
à l'image de Durga, représenté par une superbe statue, mais
qui pour eux est une princesse Javanaise statufiée par un
démon, qui est maintenant vénérée. Ainsi, le nom de la
princesse/déesse devint le nom du temple.
Le temple de Java centre est une édifice de plan carré ou cruciforme. C'est un complexe dont la structure principale se trouve au centre de l'enceinte. Il est formé de trois parties : le soubassement, le corps du sanctuaire, et la superstructure formée d'étages carrés décroissants. L'accès à la cella était fermé par deux vantaux de porte en bois. Sur le haut de la porte d'entrée est représentait en ronde bosse une terrible tête de Kala, la gueule grande ouverte, dans laquelle on doit entrer pour accéder à la cella. La tête de Kala personnifie le temps ; entrer dans le saint des saints, c'est changer d'univers. L'intérieur des sanctuaires se présente également en trois parties. Le soubassement qui inclus une fosse dans laquelle a été déposé un coffret en pierre contenant des objets précieux ou sacrés (pusaka), le corps de l'édifice qui contient une petite cella carrée destinée à abriter l'image de la divinité, et une petite salle qui est cachée dans la superstructure. Des makara, animaux aquatiques fantastiques avec une tête d'hippopotame, une trompe d'éléphant, et une gueule ouverte crachant des colliers de fleurs de lotus ou de perles, se trouvent disposés à la base des cadres des portes d'accés aux coeurs des temples, mais également en bas des rampes d'escaliers. A cet endroit, les makara sont parfois remplacés par d'autres animaux.
L'origine des makara à Java : Tous les ouvrages et autres articles sur le sujet indiquent bien la présence de ces animaux étranges, notamment de part et d'autre de la porte d'entrée, mais aucun n'en précise la raison. L'origine de ces makara nous vient d'Inde et en particulier des Pallavas encore. En effet, les montants de part et d'autre des portes d'entrées de tous les temples de l'époque Pallava, mais plus généralement de l'Inde du sud, comportent à leur base une sculpture de la déesse Ganga (le Gange), laquelle est présentée debout sur son animal monture qui est ...le makara justement ( à l'origine un crocodile). Et c'est ce makara que l'on retrouve sur les temples de Dieng et d'ailleurs à Java, mais sans la déesse fleuve, car le Gange est un fleuve d'Inde et non d'Indonésie.
Rappelons à ce propos que Ganga est une autre épouse de Shiva, et que son eau s'écoule depuis le ciel ( que représente le toit du temple ) jusqu'aux enfers ( que symbolise la base du temple), d'ou sa position sur les montants de la porte des temples, et du choix de sa monture, une créature aquatique issue des enfers.
Le
temple pourra être enserré dans un collier carré à triple ou
quadruple rang de templions ou chapelles. Les huit directions,
c'est à dire les quatre points cardinaux et les quatre axes sont
bornés superficiellement par des petits lingams.
Ils ressemblent à ceux de Java central avec toutefois quelques différences. Le soubassement est beaucoup plus haut constituant plusieurs terrasses. Le corps du sanctuaire est notablement rétréci dans la partie médiane. Enfin, le pinacle est de forme cubique, il se termine à plat et non en pointe. Les Makara sont remplacés par des Naga. A partir du XIVe s, le sanctuaire principal se situera au fond de l'enceinte et on l'atteindra après avoir traverser plusieurs grandes terrasses en gradins.
Les représentations :
Les temples destinés aux cultes hindouistes peuvent abriter des images de la Trimurti hindou ou des images liées à Shiva, en particulier Durga, Ganesha le dieu à tête d'éléphant fils de Parvati, et Agastya le sage, qui bénéficie en Indonésie d'une popularité exceptionnelle, alors qu'en Inde même, son image est très rare. Qui se cache derrière cette image ? J'émets une hypothèse : si Shiva ou le lingam représentent la puissance divine dont le souverain est l'incarnation terrestre, on peut alors supposer que Agastya représente l'ancêtre mythique des brahmanes, celui qui connait les lois et qui enseigne les rituels indispensables à la bonne harmonie du royaume. D'après les mythes hindous, Agastya est nait de la semence de Mitra et de Varuna; il est le maître de la grammaire, et à ce titre, c'est lui qui enseigne les rituels védiques.
A java, on attribut à Agastya l'introduction de l'hindouisme dans l'archipel.
Dans les temples de Java est, les images du panthéon hindouiste côtoient celles du bouddhisme, notamment à travers leurs émanations tantriques et leurs Prajna (aspect féminin).
Dans les temples bouddhiques, on trouvera des images du bouddha, des cinq jina (en particulier à Borobudur) et des Bodhisatva, surtout Avalokiteshvara le Bouddha de compassion, et Vajrapani. On trouve aussi des images de Tara (celle qui aide), l'émanation féminine du Bodhisattva Avalokiteshvara.
Des panneaux de reliefs tirés des grandes épopées hindo/bouddhiques, contant les canons religieux ou les aventures des dieux et des héros couvrent les murs de certains temples. On trouvera aussi des contes moraux tirés des histoires de Tantri, et également, à Java est, des histoires purement javanaises tirées du wayang, le théâtre d'ombre. N'oublions pas enfin, qu'à l'époque, tous les monuments étaient peints de couleurs vives.
On ne retrouvera pas à Java est les immenses sanctuaires comme les Candi Borobudur, Prambanan ou Sewu, de Java centre. En effet, à partir du 10e siècle, le "commerce international" va se développer et, grâce à une plus grande prospérité économique due à une production excédentaire de riz, l'aristocratie va succomber à l'attrait des produits luxueux comme les soieries de chine ou les cotonnades de l'Inde, et ceci au dépend de la construction des temples.
C'est à cette époque que seront introduits à Java les premiers batiks indiens, dont la technique deviendra plus tard une grande spécialité javanaise. De nombreux temples seront néanmoins construits, et leur dimension plus modeste sera compensée par une sophistication des cérémonies qui deviendront grandioses et solennelles, telles que celles qui sont encore pratiquées actuellement au kraton de Yogyakarta.
Le temple est d'abord la demeure des dieux, c'est un microcosme de la montagne céleste. Plus tard, ils pourront être consacrés au souverain déifié. De nombreuses stèles sculptées à l'effigie des rois, des princes ou des princesses sont visibles à l'intérieur des complexes funéraires de Java est, par exemple au Candi Singhosari. On n'a pas trouvé de cendres royales sous les temples javanais.